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Restauration : que puis-je faire pour accroître mes revenus?
25 % des restaurateurs canadiens envisagent sérieusement de déclarer faillite ou de liquider leur commerce à cause de la pandémie, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Contraints par les organismes de santé publique de réduire leurs heures d’ouverture ou la capacité d’accueil de leur salle à manger, voire de la fermer temporairement, les propriétaires des quatre coins du pays constatent une diminution de leurs revenus et l’importance de modifier leur modèle d’affaires. Que pouvez-vous faire pour amener un tant soit peu d’argent dans vos coffres? Voici deux options et des conseils d’experts en restauration pour parvenir à vos fins.
Première option : développer un service de livraison
Mieux vaut le préciser d’entrée de jeu : pour tous les restaurateurs taraudés par des problèmes de liquidités, la livraison n’est pas la solution magique. Dans les petites municipalités où les Uber Eats, SkipTheDishes et DoorDash de ce monde sont absents, expédier un risotto au chorizo requiert des efforts de gestion considérables et de lourds investissements.
L’offre des plateformes de livraison n’est d’ailleurs pas des plus alléchantes. La plupart réclament près de 30 % des ventes. Sandra Ferreira, directrice des opérations pour le Groupe Ferreira, qui détient trois adresses de restauration à Montréal, relativise toutefois leur gourmandise : « Uber nous donne beaucoup de clients et de visibilité. Les parts que je lui remets, j’aurais dû les dépenser en publicité pour connaître les mêmes résultats. »
La gestionnaire recommande d’ailleurs de négocier avec les géants de la livraison. « Souvent, on pense que contre un monstre californien comme Uber, on ne peut rien, admet-elle, mais c’est possible de remettre en question leurs prix et de formuler vos demandes. » Chose certaine, la livraison est loin d’être au cœur du modèle financier du Groupe Ferreira. Elle fait figure de complément, de levier pour augmenter ses recettes.
Un sondage publié par Restaurants Canada le 8 décembre 2020 révélait que 8 entreprises en restauration sur 10 enregistrent des pertes ou peinent à rejoindre les deux bouts. Quelque 63 % estiment qu’elles mettront au moins un an avant de retrouver la rentabilité.
Il est là le piège, justement : se lancer dans le transport de plats à la hâte, en pied de nez à la pandémie, en espérant toucher les revenus gagnés en salle à manger.
Pour connaître des résultats intéressants, il faut s’accorder un moment de réflexion pour déployer une stratégie efficace, selon le fondateur du Centre d’entrepreneuriat en restauration de Montréal, Philippe Bertrand. Du temps que les propriétaires n’ont pas. D’une certaine manière, commencer à expédier ses assiettes revient à s’attaquer à un nouveau marché, qui dispose de ses fournisseurs, de ses modes de distribution, de sa clientèle et de ses pratiques publicitaires. « Pensez-y : c’est un peu comme démarrer une seconde PME. Personne ne se lance en affaires sans plan. C’est bien trop risqué! », soutient le consultant, qui cumule vingt-cinq ans d’expérience en sommellerie et en gestion.
Il faut par exemple adapter son menu, souligne-t-il. Dany Bolduc en sait quelque chose. Propriétaire du H4C, un commerce gastronomique apprécié des fins gourmets du quartier Saint-Henri de la métropole québécoise, il avait notamment l’habitude de proposer de l’agneau joliment accompagné de sauce mouhammara, asperges et jus de viande. Durant la pandémie, il a plutôt mis en boîte… du poulet frit. La crise fut pour le chef une occasion de créer du comfort food haut de gamme.
« À la maison, les clients ont d’autres besoins. Ils ne cherchent pas une ambiance, des assiettes magnifiques ou la chorégraphie des serveurs. Ils veulent manger quelque chose de vraiment bon et de facile à faire. » Danny Bolduc met au jour un élément primordial : les adeptes de la livraison n’ont pas les mêmes attentes et il faut adapter son menu pour mieux y répondre.
Le chroniqueur culinaire et consultant en alimentation Thierry Daraize conseille à ses clients de présenter une carte réduite et sans prétention, laquelle simplifiera le contrôle des coûts et des pertes de même que leurs efforts de promotion. « N’offrez pas un vaste choix pour satisfaire tout le monde, prévient l’ancien chef qui cumule plus de vingt ans d’expérience derrière les fourneaux. Il est préférable de préconiser un plat fétiche. Un seul! Proposez un gros câlin, un réconfort qui incitera les consommateurs à s’octroyer un petit moment de bonheur, un plaisir gourmand. »
Il suggère d’imiter l’Auberge Saint-Gabriel. Fondé en 1688 à Montréal, le premier lieu de restauration en Amérique du Nord à recevoir un permis d’alcool a mis au rancart son menu de viandes, poissons et fruits de mer, pour livrer un seul et unique produit : une fondue au fromage. Le sachet de gruyère et de vacherin fribourgeois est expédié avec une baguette de pain, du kirsch et du thé noir (selon les règles de l’art suisse) ou en formule trois services, avec charcuteries et desserts. Il est également possible d’acheter des légumes à tremper, une bouteille de vin parfaitement accordée ou un coffret cadeau contenant un champagne Veuve Clicquot. Selon Thierry Daraize, l’idée connaît des résultats spectaculaires. « N’oubliez pas de rester conséquent avec votre concept et votre style », ajoute l’ancien chef-exécutif. Votre produit vedette se doit de mettre votre identité à l’honneur.
Quoi qu’il en soit, l’objectif est avant tout d’en arriver à une proposition rentable. Calculer les coûts (frais fixes, matières premières, main-d’œuvre, transport, emballage, etc.) afin de s’assurer une marge bénéficiaire intéressante est d’une importance capitale.
« Pour compenser leurs pertes en salle à manger, trop d’entreprises en restauration se lancent dans la livraison sans repenser leur menu ou calculer leur marge de profits. Mais si ce n’est pas rentable pour vous d’être sur Uber, à quoi ça sert? À rien. Ça génère un peu de sous, mais la noyade n’est que repoussée. »
– Philippe Bertrand, consultant en restauration
Comment choisir de bons emballages? Nous avons posé la question à Jean Bédard, propriétaire et président de la célèbre chaîne québécoise La Cage. Son conseil : « Commandez de la nourriture ailleurs pour devenir un expert! » Regarder les sacs, boîtes, contenants, ustensiles qu’utilise la concurrence pour vous inspirer des meilleures pratiques ne peut certainement pas vous nuire.
Le but n’est pas de prendre dix kilos en testant toutes les bannières. Le comptable agréé de formation, désormais entrepreneur renommé, suggère d’éviter d’être trop pointilleux et exigeant au départ, car la pandémie a créé une pression sur les fournisseurs, lesquels peinent à satisfaire la demande croissante. Selon lui, il est préférable d’opter pour une approche en amélioration continue pour offrir, au fil du temps, des emballages plus attirants, économiques et écoresponsables. « Pour optimiser votre service de livraison, n’oubliez pas de sonder la clientèle pour connaître leurs mécontentements et leurs recommandations », ajoute-t-il.
Deuxième option : la vente de produits
Commercialiser sa sauce barbecue est une façon de diversifier ses revenus bien au-delà de ce contexte sanitaire extraordinaire. Pour plusieurs entrepreneurs indépendants, la distribution à large échelle semble un rêve bien grandiose. Cependant, avant d’accéder aux rayons de l’ensemble des IGA, il y a quelques étapes à franchir. « Peu de propriétaires pensent à visiter le petit épicier du coin, le boucher, le fromager, voire un franchisé des grands supermarchés pour connaître leur intérêt », croit Jean Bédard.
Dany Bolduc, lui, a poussé l’idée jusqu’au bout : en octobre, il a ouvert sa propre épicerie. Une initiative qui lui permet de gagner sa vie et de faire travailler ses employés (il envisage même d’en embaucher sept) alors que la porte de son établissement, situé juste en face, indique « fermé » en raison des obligations gouvernementales. Quand les réservations pourront reprendre, sa nouvelle adresse demeurera un moyen de joindre les quelques professionnels de la santé et les nombreux craintifs qui composent sa clientèle. Elle lui évitera également des pertes, car les surplus du H4C pourront dès lors être transformés.
Dans les réfrigérateurs de La Pantry par Dany Bolduc, on retrouve l’univers du chef en version précuite : de la pieuvre, de la pintade, des cuisses de canard confites, des côtes levées de porc, des boulettes de viande… Bref, des pièces qu’il s’agit d’enfourner quelques minutes avant de les déguster entre amis, avec des épices ou des ketchups inusités.
« L’objectif, c’était surtout de rejoindre une plus vaste clientèle, d’aller chercher toutes les occasions de consommation des habitants et des travailleurs du quartier, en dehors des heures d’ouverture réduites de mon restaurant », résume-t-il. Déjeuner, dîner, souper, on y trouve donc son compte, car du pain frais, des pâtisseries et des sandwichs hors de l’ordinaire sont produits sur place. Le marché offre beaucoup de visibilité au H4C.
« Le consommateur est en train de changer. Il veut de la nourriture de qualité resto, sans s’asseoir dans une salle à manger. Depuis longtemps, cette mouvance est amorcée, notamment avec la popularité du prêt-à-manger, du prêt-à-cuisiner. Pour réussir, il suffit d’anticiper cette tendance. »
– Jean Bédard, président du Groupe Sportscene (La Cage)
La lumière au bout du tunnel
Jean Bédard est très positif quant à l’avenir de la restauration. Il croit que la COVID-19 donnera un coup de pouce à l’industrie, qui en avait grandement besoin. Ses arguments? Premièrement, la pandémie force chacun à revoir son modèle d’affaires et il était temps. Deuxièmement, elle suscite une prise de conscience chez les consommateurs privés de loisirs. Tous en cœur, ils constatent qu’une sortie au restaurant, c’est essentiel. Troisièmement, elle appelle des assouplissements réglementaires, notamment en ce qui a trait à la vente d’alcool.
Enfin, elle peut résoudre en partie le problème de main-d’œuvre. L’industrie se renouvelle et regagne ses lettres de noblesse; son dynamisme ne peut qu’attirer une nouvelle génération de cuisiniers. De plus, le confinement et la popularité du prêt-à-cuisiner amènent les gens à popoter davantage. Des passions et des carrières naîtront, forcément.
Sans nul doute, Jean Bédard est un éternel optimiste.
La réponse
Restauration : que puis-je faire pour accroître mes revenus? Vous pouvez notamment opter pour la livraison ou pour la vente au détail. La règle d’or : ne prenez pas de décisions dans l’urgence, sans mener une étude de marché, établir un plan et calculer vos marges de profit.
En matière de livraison, pensez à réduire votre menu en l’adaptant au transport et aux besoins de votre clientèle à domicile, tout en respectant votre identité. Pesez les avantages et les désavantages de la gestion à l’interne et de la sous-traitance, si cela s’applique à votre localité. Le cas échéant, examinez et négociez l’offre des plateformes de livraison. Ne soyez pas trop exigeant en matière d’emballage, car les options proposées par les fournisseurs sont limitées pendant la pandémie; misez plutôt sur une approche en amélioration continue. Commandez ailleurs et sondez votre clientèle pour bonifier votre offre au fil du temps.
Un bref conseil en ce qui a trait à la vente au détail : même si vous n’avez pas la capacité de distribuer vos produits à large échelle, n’hésitez pas à visiter les grands franchisés à proximité. Accéder aux étalages du Métro du coin, c’est déjà un bon début.