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La Cage : 4 actions-clés pour retenir les employés en restauration
Afin d’offrir du travail à ses employés malgré la fermeture de ses salles à manger en zone rouge, la chaîne québécoise de restaurants La Cage s’est lancée dans la livraison, les plats pour emporter, le prêt-à-cuisiner et l’animation de partys de Noël virtuels. Impossible, toutefois, d’éviter les adieux : en dépit de ses kits de tacos aux homards à concocter à la maison et de ses suggestions de spectacles d’humour, le chef de file de la brasserie sportive n’a eu d’autre choix que de licencier 35 % de son personnel depuis le début de la pandémie.
Parmi les épargnés, beaucoup demeurent mis à pied, faute de travail. Que font les dirigeants de l’endroit chouchou des amateurs de football et de boxe pour garder le lien d’emploi avec leur main-d’œuvre? Nous avons demandé à Jean Bédard, propriétaire et président de la bannière, de nous révéler les secrets de l’entreprise qu’il pilote depuis 1995.
Accompagner
À La Cage, on partage des ailes de poulet, des côtes levées et des tartares entre amis devant les finales exaltantes de la coupe Stanley. Le volume des écrans géants est réglé au maximum, les exclamations de joie sont bruyantes et les pichets de bière s’accumulent sur les tables. Sans surprises, une ambiance aussi festive attire beaucoup d’employés près de la majorité.
Quand la COVID-19 s’est pointé le bout du nez, ces jeunes avaient besoin d’aide. « À 20 ans, tu ne sais pas ce que c’est un relevé d’emploi, mentionne Jean Bédard au bout du fil. Tu ne t’imagines même pas être au chômage un jour! », ajoute-t-il en riant. Il était important de prendre le temps d’expliquer à tout le monde les conditions d’admissibilité à la Prestation canadienne d’urgence et la marche à suivre pour y accéder.
L’organisation a déployé une ligne d’assistance 24/7 afin de répondre aux questions de chacun. Tout le service des ressources humaines a prêté main-forte, notamment les quelques chasseurs de têtes qui avaient pour mission de recruter des cuisiniers à l’étranger pour pallier la pénurie de personnel et qui se retrouvaient sans mandat en raison de la fermeture des frontières canadiennes.
Les gestionnaires des 40 succursales ont ensuite pris le relais. Chaque semaine, ils téléphonent aux membres de leur équipe. Ils discutent de la pluie et du beau temps pour vérifier s’ils se portent bien. « C’est une période vraiment stressante pour les travailleurs de la restauration », témoigne le comptable de formation. « Certains ont des problèmes financiers et des difficultés psychologiques. Le plus dur, c’est qu’ils ont du mal à voir le bout du tunnel tellement ils n’ont aucune idée du moment où ils pourront retourner au travail. »
Au besoin, les gestionnaires formulent des conseils ou recommandent des lignes de soutien ou des séances de psychothérapie. Le programme d’aide aux employés, normalement uniquement offert à l’équipe de la direction et aux professionnels du siège social, a d’ailleurs été temporairement rendu disponible aux serveurs, plongeurs et hôtes. L’industrie de la restauration, faut-il le rappeler, propose trop souvent des postes précaires, sans assurance collective qui rembourse les suivis en santé mentale.
Quoi de plus réconfortant qu’un bon repas quand le moral est à plat? L’idée d’en distribuer allait de soi pour le restaurateur. Au début de la pandémie, les salariés étaient invités à passer sur leur lieu de travail, une fois par semaine, pour récupérer un plat préparé spécialement pour eux par les chefs de La Cage.
Partagez vos connaissances : une astuce de rétention à moindre coût
Que vous soyez pâtissier, boucher, chef expérimenté en cuisine thaïlandaise, entrepreneur, vous maîtrisez certainement des techniques de préparation, de coupe, de cuisson ou des stratégies de gestion susceptibles d’intéresser votre équipe. Pourquoi ne pas improviser de courtes vidéos de formation ludiques et sans prétention avec votre téléphone cellulaire ? Votre personnel sera content d’en apprendre un peu plus et de vous retrouver dans l’univers de travail qui lui était familier. Profitez-en pour transmettre les dernières nouvelles.
Communiquer
En mars 2020, quand les premières mesures de confinement ont été annoncées, Jean Bédard s’est empressé de présenter le plan d’action de son entreprise par le biais de plusieurs capsules vidéos. Il tenait à être devant la caméra : « Gérer une crise, c’est surtout une job de communication ». Pour ne perdre ni l’espoir ni leur sentiment d’attachement, les salariés ont besoin de connaître la vision de leur employeur et d’avoir l’impression que les choses sont prises en main.
Membre du conseil d’administration de l’association Restaurants Canada et entrepreneur aguerri, M. Bédard baigne dans le secteur de l’alimentation depuis plus de trente ans. S’il n’avait qu’un seul conseil à donner à un restaurateur indépendant, quel serait-il? « Rester proche de votre monde! Téléphonez-leur, parlez-leur », recommande-t-il avec une pointe d’emportement dans la voix.
« Ne laissez pas vos employés dans le silence en attendant de les rappeler quand les restos pourront ouvrir à nouveau, car il sera trop tard. »
– Jean Bédard, propriétaire de La Cage
Il souligne l’importance de mettre cartes sur table, d’être franc, honnête et transparent quant à sa situation financière. Au plus fort de la crise, M. Bédard n’a pas hésité à révéler son chiffre d’affaires, un secret normalement bien gardé. Les employés étaient ainsi à même de comprendre que l’entreprise était réellement mise à rude épreuve et que personne n’était renvoyé à la maison par gaieté de cœur.
Écouter et défendre
On l’a déjà dit : selon Jean Bédard, la fermeture des salles à manger a un immense impact sur la santé mentale des employés. Ils sont non seulement épuisés, anxieux, mais également fâchés. « Ils me demandent pourquoi ils sont chez eux, alors que tout se passait bien, que des plexiglas étaient installés et que la distanciation était maintenue. » Ils éprouvent un sentiment d’injustice, qui est devenu celui de l’homme d’affaires. Ce dernier s’est promis d’être le porte-voix de leur incompréhension et de leur colère auprès des organismes décisionnels.
« La cuisine, la sommellerie et le service nécessitent un savoir-faire. En restauration, la main-d’œuvre qualifiée est au cœur du produit. Mais j’ai peur qu’elle se décourage et qu’elle change de branche. Je veux qu’elle voie qu’on va se battre pour que le confinement soit le plus court possible. Je m’engage à discuter avec la Santé publique pour trouver une solution qui répond à ses exigences et celles de notre industrie. »
– Jean Bédard
Depuis le début de la pandémie, Jean Bédard participe activement aux tables de discussion du gouvernement de François Legault et de la Santé publique. Pour faire valoir la réalité de son industrie et les besoins de la main-d’œuvre en restauration, il utilise ses relations et multiplie ses apparitions à la radio et dans les journaux.
Le 22 octobre, il a d’ailleurs publié dans La Presse une lettre cosignée par de gros joueurs de l’industrie de l’alimentation (Groupe St-Hubert, Alimentation MTY, ARQ, Restaurants Canada, Pacini, Exceldor, etc.), dans laquelle il demande au premier ministre québécois la réouverture des salles à manger au nom de la santé mentale des travailleurs et des consommateurs.
Grâce aux multiples actions de leur directeur général, il y a fort à parier que les employés de La Cage ne se sont jamais sentis à ce point écoutés et attachés à leur entreprise. De notre échange avec Jean Bédard, nous pouvons formuler quatre actions-clés pour retenir les employés de la restauration durant la pandémie : offrir de l’aide, donner un portrait juste et à jour de la situation, être à l’écoute des besoins du personnel et s’en faire le défenseur.